

13 tzameti de
Gela Babluani France - 2006 Couleurs - 1 h 33
Avec Georges Babluani (Sébastien), Aurélien Recoing (Jacky),
Augustin Legrand (José), Philippe Passon (Jean-François
Godon), Pascal Bongard (le maître de cérémonie), Vania Villers
(M. Schloendorf), Fred Ulysse (Alain), Serge Chambon
(l’organisateur)...
Le propriétaire d’une maison meurt d’une overdose après avoir
reçu une étrange convocation censée lui rapporter beaucoup
d’argent. Un jeune homme récupère l’enveloppe et décide de
prendre sa place. Commence pour lui un jeu de piste qui le
mènera jusqu’à un huis-clos clandestin, un monde
cauchemardesque où des hommes parient sur la vie d’autres
hommes...
Il existe une morale de la mise en scène (celle du refus de
toute complaisance),
il existe une morale du compte-rendu (soucieuse de ne pas
miner le suspense). Sur ce qui attend notre visiteur
incrédule, on se contentera de suggestions : une maison dans
un bois, une mafia d’hommes sans scrupule, un ring autour
duquel s’agite une grappe de parieurs patibulaires, des
cobayes dopés à la morphine, des pistolets sur la nuque, des
sueurs froides, crises de nerfs, surenchères de trouille. Huis
clos éprouvant, où le machiavélisme d’une classe dominante est
métaphoriquement transformé en jeu avec la mort, où l’individu
n’a d’autre issue pour survivre que de voir ses compatriotes
rejoindre la cave des cadavres, et où Babluani nous interroge
sur la morale de certains divertissements.
L’image n’offre aucune issue à la pitié : ombres, trognes,
sourires cyniques, oeil rapace, revolvers au chien levé ;
l’ampoule électrique est signal de barbarie. Le son suinte des
bas-fonds : aboiements de chiens en meute, vociférations du
maître de cérémonie, musique énigmatique du groupe marseillais
Troublemakers. On a le sentiment rare de découvrir un grand
cinéaste, en même temps que la trouble impression de replonger
chez Edgar Poe : même obsession de la canaille, même obsession
névrotique du piège, du supplice, du jeu qui mène au vertige,
à la terreur exquise. Même délire de l’opiomane et crescendo
de la peur.
Jean-Luc Douin, Le Monde - Mercredi 8 février 2006.
Interdit aux moins de 16 ans.
Premier long d’un réalisateur Géorgien,
Gela Babluani, 13 Tzameti est de ces œuvres fortes dont on ne ressort pas
indemne. Comparable dans la démarche au Dernier Combat du jeune Luc Besson, ou
au traumatisant The Texas Chainsaw Massacre de Tobe Hooper, il captive autant par
son graphisme que par sa construction toute en tension
maladive. Avant d’aller plus en avant dans l’analyse, je
tiens à vous préciser que c’est un film dur, très dur, et
que certaines scènes sont relativement insoutenables pour
tout esprit doté d’un minimum de compassion. Sorte de Hostel cru, sans glaçage gore cheap
et humour de potache pour faire passer la pilule, 13 Tzameti est aussi sobre que sa
superbe photographie en noir et blanc, et sec comme le bruit
d’une balle qui sort d’un barillet.
Sebastian,
jeune
ouvrier,
effectue des réparation chez un homme malade, au bout du
rouleau. Il doit assister aux fréquentes algarades entre celui
ci et sa compagne, jusqu’au jour où il tombe sur une lettre,
avec un mystérieux rendez vous. Ayant besoin d’argent, il
décide envers et contre tout bon sens de s’y rendre, et
découvre un monde interlope extrêmement sombre, au sein du
quel sa vie ne tiendra plus qu’à une balle…ou plusieurs.
Coaching
de
l’extrême, cette maison cache entre ses murs de riches hommes
d’affaires spéculant sur la vie de leur « poulain »,
prêt à tous les risques pour engranger quelques billets, et
assouvir d’une part leur pulsions morbides, et leur soif de
violence.
La
règle
de la partie est simple, mais je ne vous l’énoncerait pas,
sous peine de gâcher le plaisir de la première scène
d’exposition qui fait froid dans le dos. Gardez cependant ceci
en mémoire. Un cercle, une ampoule diffusant une lumière
blafarde, et une chaise d’arbitre. Point.
Le
génie
de Gela Babluani, comme beaucoup de premiers réals, est de
filmer à l’économie. Les plans sont longs, les dialogues
courts, les cadrages inventifs (l’utilisation de la plongée et
de la contre plongée sont diablement efficaces…), et le
silence pesant, très pesant. Il arrive, par une parcimonie
technique, à nous faire entrer dans le psyché de ses
personnages, et de parfois, nous intégrer à la bande à leur
place, nous faisant presque sentir les gouttes de sueur
perlant dans notre dos. La première partie, absconse et lente,
n’explique rien. On ne connaît pas les protagonistes, et à la
rigueur, on ne veut rien savoir d’eux. L’aspect mystérieux est
très hermétique, ce qui permet de nous identifier au
personnage de Sebastian, le plus humain d’entre tous. La
seconde partie du film, nous permet de découvrir une sacrée
galerie de gueules, dont le trop rare Aurélien Recoing et sa
tronche au rasoir, reste la figure emblématique. Cette seconde
partie est la partie la plus dure à avaler de la pilule, avec
ses jeux du cirque « modernes », et son absence de
recul qui nous fait basculer dans le vide de l’absurde.
Plus
qu’un
Western
moderne, Babluani nous offre une belle réflexion sur la nature
avide et suicidaire des hommes, toujours prompts à sacrifier
l’essentiel pour gagner le futile. Il nous livre en pâture par
la même occasion une des plus belles figures christiques du
cinéma, un peu comme le William Blake de Jarmusch, la
condescendance en moins. Le chemin de croix est long, très
long, mais la peur se transformera bien vite en mépris, puis
en volonté du désespoir pour Sebastian.
Un film choc,
authentique coup de poing en pleine gueule, 13 Tzameti
ne laisse pas de marbre. Il est impossible de rester
impassible devant ce pamphlet virulent, qui n’utilise la
violence graphique qu’à des fins dénonciatrices, au
contraire d’un Hanneke qui s’en repaît pour mieux satisfaire
l’avidité morbide de ses fans sous couvert de distanciation.
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